Parodie de justice… (par le Dr Hassatou Baldé)

Publié le par Dr Hassatou Baldé

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Parodie de justice, le Procureur se prend pour un juge et ne sait pas ce qu’est un scellé.

 

 

 

Le Vendredi 12 août 2011,  Mohamed Saïd Haïdara, Procureur de la République près du tribunal de première instance de Dixinn (on ne dit pas près du mais près le tribunal)  a déclaré ce qui suit :

 

« A la suite de l’attaque de la résidence privée du Pr. Alpha Condé, président de la République, le 19 juillet 2011, les mis en cause ont été déférés à mon parquet au Tribunal de Première Instance de Dixinn.

 

A ce jour, les juges d’instruction chargés des dossiers déférés au nombre de 37, sont en train de diligenter la procédure. A la suite des personnes déférées, l’équipe d’enquêteurs a réuni les différents objets saisis sur les personnes qui ont perpétré l’attaque. Ces objets appelés scellés ou pièces à conviction sont constitués de… Ces scellés sont désormais placés sous mains de justice et seront représentés le moment venu devant la juridiction de jugement».

 

 C’est devant le juge et non devant le Procureur que sont déférés les détenus

 

Dans une procédure judiciaire normale, ce que Mohamed Saïd Haïdara appelle les « mis en cause » (les prévenus), ne sont pas déférés devant le Procureur, mais devant le juge. Le Parquet (procureur, avocat général etc.) représente l’accusation, c’est lui qui accuse, porte plainte contre les prévenus au nom de la société. Il est en quelque sorte l’avocat de la société. Pour garantir une justice équitable aux prévenus, c’est devant un juge qu’ils sont déférés, en présence de leurs avocats. Et surtout pas devant le Procureur, qui a déjà sous ses ordres les agents et les officiers de police judiciaire qui mènent l’enquête.

 

Voici ce qu’en dit le Code de Procédure pénale (CPP)

 

Art 116 : - Lors de la première comparution, le Juge d’Instruction constate l’identité de l’inculpé, lui fait connaître expressément chacun des faits qui lui sont imputés et l’avertit qu’il est libre de ne  faire aucune déclaration. Mention de cet avertissement est faite au procès-verbal. Si l’inculpé désire faire des déclarations, celles-ci sont immédiatement reçues par le Juge d’Instruction. Le Magistrat donne avis à l’inculpé de son droit de choisir un Conseil parmi les Avocats inscrits au Tableau ou admis au stage. Mention de cet avis est faite au procès-verbal. L’assistance d’un défenseur est obligatoire quand l’inculpé est atteint d’une infirmité de nature à compromettre sa défense. Dans ce cas, si l’inculpé n’a pas fait choix d’un défenseur, le Magistrat en commet un d’office.

  

Art 122 « Le Procureur de la République peut assister aux interrogatoires et confrontations de l’inculpé et aux auditions de la partie civile et des témoins ».

 

Art 123 «  Le Procureur de la République et les Conseils de l’inculpé et de la partie civile ne peuvent prendre la parole que pour poser des questions après y avoir été autorisés par le Juge d’Instruction »

  

Le Procureur ne sait pas ce qu’est un scellé

  

Tout aussi inquiétant que ce qui précède, le Procureur Saïd Fofana soutient que « ces objets appelés scellés ou pièces à conviction sont constitués de… Ces scellés sont désormais placés sous mains de justice et seront représentés le moment venu devant la juridiction de jugement ».

 

Cela n’est pas tout à fait exact. Un scellé est « bande de papier officier ou d’étoffe fixée par un cachet de cire marqué d’un sceau par le juge d’instance ou son greffier en chef afin d’empêcher provisoirement l’ouverture d’un appartement, d’une pièce ou d’un meuble ». En droit les biens qui peuvent se transporter d’un endroit à un autre sont considérés comme des meubles (du simple stylo, animaux, voiture etc.), par opposition aux immeubles.

 

Quant aux pièces à conviction,  ce sont les objets dont se sert la justice comme éléments de preuve dans un procès pénal.

 

Ces pièces à conviction peuvent être constituées des objets saisis mais qui ont été placés sous scellé. C’est ce placement ou l’apposition des scellés que le magistrat ne semble pas assimiler. Les articles 53 et 101 du CPP sont explicites.

  

La fin de l’article 53 dispose que :

 

Tous objets et documents saisis sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés. Cependant, si leur inventaire sur place présente des difficultés, ils font l’objet de scellés fermés provisoires jusqu’au moment de leur inventaire et de leur mise sous scellés définitifs et ce, en présence des personnes qui ont assisté à la perquisition suivant les modalités prévues à l’article 54.

 

Avec l’accord du Procureur de la République, l’Officier de Police Judiciaire ne maintient que la saisie des objets et documents utiles à la manifestation de la vérité ».

  

Cet article précise que l’officier de police judiciaire a l’obligation, au préalable de prendre toutes les mesures utiles pour assurer le respect du secret professionnel et des droits de la défense.

 

L’article 101 énonce que «  Tous les objets et documents placés sous main de Justice sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés ».

 

Le scellé est en quelque sorte une fermeture, sous condition, des éléments saisis qui pourront servir de preuve. Les scellés sont apposés aux objets saisis, souvent après une perquisition, pour éviter l’altération, voire la falsification des preuves. Tout comme les perquisitions, il s’agit d’une procédure strictement encadrée qui fait l’objet d’un procès verbal. Ce sont ces scellés qui seront analysés par les experts.

 

Les perquisitions et le placement des objets sous scellé sont faits en présence des personnes soupçonnées d’avoir participé au crime et/ou du domicile de laquelle la perquisition a été faite, ou son représentant.  En cas d’impossibilité, l’OPJ désigne deux témoins qui ne sont pas sous ses ordres. Toutes ces personnes doivent signer le procès verbal (PV), et en cas de refus, cela est mentionné.

 

En effet, en procédure pénale, les objets sont placés sous scellé par les officiers de police judiciaire sous le contrôle du juge d’instruction (cf. art 54 CPP).

 

Saïd Fofana Haïdara, le Procureur est fier de dresser une liste d’objets qu’il présente comme étant des scellés ou des pièces à conviction. Rien dans cette affaire ne montre que les objets saisis, l’ont été dans le respect de la loi et encore moins que les objets saisis aient été placés sous scellés. Or c’est justement pour éviter le détournement des preuves que les scellés sont apposés.

 

Il est d’ailleurs curieux que le Procureur, au mépris de toute rigueur, ne dise pas chez quel prévenu a été trouvé quel objet, en prenant soin de dire que les perquisitions chez les 37 détenus les ont été en présence des concernés, des membres de leurs familles ou des témoins qui ne sont pas aux ordres des OPJ.

 

Qui garantit que les objets ou certains objets cités sur la liste proviennent réellement des perquisitions menées chez les détenus ?

 

Au lendemain de l’attentat contre la résidence d’Alpha Condé, un communiqué de la présidence fait état d’assaillants munis de roquettes, de fusils à lunette, de jumelles, de gris-gris et les incontournables PMAK.

 

Au moment où la présidence liste ces armes, les perquisitions n’avaient pas encore été faites. Il sied de noter que le communiqué parle d’incontournable PMAK comme si c’était évident que les assaillants en disposaient.

  

Après l’ouverture d’une information judiciaire, le Parquet  mentionne « des objets divers ayant servis à la commission des faits dont trois véhicules 4 X 4, une importante quantité de munitions, des fusils mitrailleurs, des lance roquettes, des lunettes infra rouges, des tenues militaires, gilets par balles, importante quantité de drogue, des talismans et des gris-gris ».

 

Cette fois ci, des perquisitions avaient été menées et comme pour corroborer le communiqué de la présidence, des gris-gris et des talismans auraient été trouvés au domicile de certains prévenus. La possession de tels éléments n’est pas en soit un délit. Dans un pays où la majorité des habitants est superstitieuse, il serait plus simple de chercher des personnes ne possédant pas des gris-gris, talismans et autres porte-bonheur ou lotions de protection que celles qui en ont. En principe, les objets à saisir doivent avoir un lien avec l’infraction. Le procès permettra sans doute de démontrer la logique du Procureur en choisissant ces éléments comme des pièces à conviction.

 

S’agissant des armes, il existe des nuances entre le communiqué et le résultat des perquisitions, à la place des roquettes, il y a des lances roquettes, les lunettes infra rouges au lieu des fusils à lunette, des fusils mitrailleurs, trois 4X4 en guise de pick-up. La liste s’est allongée par rapport au communiqué avec une quantité importante de munitions, des gilets par balles, des tenues militaires et la drogue. Il n’y a pas de quantité donnée, pas de précision sur les objets, la nature des véhicules, ce qui montre la légèreté avec laquelle est menée l’enquête.

 

Le 12 août, c’est une nouvelle liste que dresse le Procureur :

 

Cinq lance-roquettes anti-char, cinq fusils mitrailleurs FM, deux PMAK (que le communiqué qualifiait d’incontournable) , une grenade, défensive américaine, cinq boîtes chargeurs FM,  Trois boîtes chargeurs PMAK, trois roquettes, six fusils mitrailleurs de modèle français, trois caisses de munitions, neuf mille neuf cent quarante quatre (9944) munitions de fusils mitrailleurs, une lunette infra rouge, un couvercle lance-roquette anti-char, deux chargeurs Talkie-walkie, trois chargeurs de téléphones, trois imperméables, trois gilets par balles, deux bérets de couleur rouge, une plaque d’immatriculation no 2120 CDC, six catalogues de véhicule Mitsubishi, une cartouchière, un casque lourd, une gourde dorsale, treize uniformes militaires, (il y a trente sept prévenus dont trente cinq militaires, ils sont surpris de trouver treize tenues),  une chemise en cotonnade (c’est drôle qu’ils n’aient trouvé qu’une chemise et non une valise dans une maison), un T-shirt ensanglanté, un gris-gris, un couteaux de cuisine (est-ce un exploit que de trouver un couteau dans une maison où en toute logique, il y a une cuisine ?), une paire de rangers, un camouflage, une chaussure de sport pied droit (quelle est la pertinence de cette pièce à conviction), quatre bouteilles contenant des talismans, une sacoche noire, cent soixante treize boules de chanvre indien, une lutte( sans doute lunette) de soleil (Dadis ne portait- il pas en permanence des lunette de soleil, est-ce une crime que d’en avoir chez soi ? , sept véhicules 4X4 (le nombre de véhicule a augmenté. De trois ils sont passés à sept. Il faut dire que Alpha Condé dans son interview à RFI parlait de six véhicules).

 

Sur les véhicules, les expressions ont évolué. Après avoir parlé de pick-up sans autre précision, les enquêteurs ont utilisé l’expression 4X4 et aujourd’hui ils parlent de véhicules, sans indication précise quant à la marque, l’immatriculation, la couleur. Combien de personnes disposent de véhicule 4X4 dans un pays où les routes sont réputées mauvaises. D’autant que trois semaines après le prétendu attentat, des individus roulant en pick-up non immatriculés lourdement armés attaquent les magasins à Sonfonia à la barbe des commissariats et gendarmeries sans aucune inquiétude, voire avec leur complaisance. Le pas est même franchi à Paris avec le responsable du RPG dans la capitale française qui, devant la poignée de manifestants, a donné les résultats de ses enquêtes, indépendamment de celles de la justice de Conakry, en mettant directement en cause un responsable politique d’un parti de l’opposition. Où est l’indépendance de la justice guinéenne ?

 

Peut-on accorder foi à ces listes non scellées qui varient sans cesse ? Qui dit que les armes exhibées ne proviennent pas des stocks de l’armée. Les armes et munitions saisies disposent elles de numéros de séries permettant de connaître leur provenance, leur destination et leur lieu de transit (traçabilité des armes) ?

 

 L’article 55 CPP ajoute que « toute communication ou toute divulgation sans l’autorisation de l’inculpé ou de ses ayants droit ou du signataire ou du destinataire d’un document provenant d’une perquisition à une personne non qualifiée par la loi pour en prendre connaissance est punie d’une amende de 50.000 à 500.000 francs guinéens et d’un emprisonnement de 3 mois à 3 ans ».

  

Le Procureur qui exhibe des preuves à la télévision a-t-il respecté cette disposition ? Les détenus étaient ils informés de cette exposition médiatique ?

 

 

Le sort des scellés

 

L’article 169 CPP dispose que le juge d’instruction représente à l’inculpé avant de les faire parvenir aux experts, les scellés qui n’auraient pas été ouverts et inventoriés. Il énumère ces scellés dans le PV spécialement dressé à l’effet de constater cette remise. Les experts doivent faire mention dans leur rapport de toute ouverture ou réouverture des scellés.

 

A la fin des opérations d’expertise, les experts rédigent un rapport qui doit contenir la description des opérations effectuées et leurs conclusions. Les rapports et les scellés sont déposés entre les mains du greffier du juge et ce dépôt est également constaté par un PV. (art 172 CPP).

 

A la lumière des méthodes d’enquête, des actes de tortures infligés aux détenus, une commission d’enquête internationale, sous l’égide du haut Commissariat des Droits de l’Homme des Nations Unies s’impose, au plus vite. Sinon quelle indépendance attendre d’une justice aux ordres du pouvoir, quelle crédibilité, quelle équité peut-on attendre d’un système judiciaire où les enquêteurs dépendent de la présidence et de son parti, où le Procureur se confond au juge et ignore les règles primaires de conservation des preuves et méprise les droits de la défense. Comme Alpha Condé en a bénéficié lors de son procès en 1998, les détenus sont en droit d’avoir, entre autres, des avocats internationaux pour les défendre, tout comme il faut des experts compétents pour notamment analyser la balistique, l’ADN, les empreintes, les impacts des tirs (47 impacts de balles et trois roquettes selon JA) et voir s’ils correspondent à l’arsenal « saisi ».

 

Hassatou Baldé

 

 

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